Malgré de vives contestations, l'article 4 du projet de loi Loppsi 2 a finalement été adopté par l'Assemblée nationale, mercredi 15
Alors que seuls 27 députés étaient présents, l'article a été adopté dans les mêmes termes qu'au Sénat, laissant comme dernier recours la saisine du Conseil constitutionnel. Une saisine déjà annoncé par le député PS Patrick Bloche.
Dans le texte, cet article vise à "empêcher toute connexion à des sites à caractères pédophiles répertoriés par les services de police". Un blocage toutefois vierge de tout contrôle judiciaire, cette option ayant été définitivement rejetée sur les bancs de l'Assemblée.
"L'objectif est de lutter contre la pédo-pornographie", plaide le député UMP Eric Ciotti, rapporteur du texte. "Le seul moyen de bloquer ces sites [pédo-pornographiques] hébergés à l'étranger est de demander aux fournisseurs d'accès à Internet de bloquer l'accès des internautes aux pages litigieuses", poursuit-il. Le filtrage des sites se fera donc auprès des fournisseurs d'accès auxquels "le ministère de l'Intérieur transmettra une liste noire d'adresses" de sites à bloquer, détaille Eric Ciotti soutenu par le gouvernement.
"Je peux accéder à ce que je veux depuis le réseau de l'Assemblée nationale"
"C'est une vaste fumisterie !", tranche irrité Lionel Tardy. "Sous prétexte de lutter contre la pédo-pornographie, on abouti aux mêmes problèmes qu'a posé Hadopi", explique-t-il. "Il faut une solution internationale, par exemple au G20, et s'attaquer à ceux qui créent les contenus, plutôt qu'à ceux qui les hébergent..."
Un point de vue partagé par la député et secrétaire nationale de l'UMP en charge du Numérique, Laure de la Raudière : "La seule solution est de traiter le problème à la source, avec une coopération internationale au niveau de l'ONU ou du G20". "Tout le monde, de droite comme de gauche, est d'accord sur l'objectif de lutte contre la diffusion d'images pédo-pornographiques sur Internet." Toutefois, "cet article est inefficace parce que le filtrage des sites est inefficace", conclut-elle, désabusée.
"On arrive très bien à éliminer les sites de phising, etc. Pourquoi ne pourrait-on pas faire de même pour la pédo-pornographie ?", s'interroge Maxime Rouquet, membre du Conseil d'administration du Parti Pirate.
Le site WikiLeaks est présenté en exemple de l'inefficacité d'un tel filtrage. "Tenter de bloquer un site international est une fausse solution", pointe Lionel Tardy. "WikiLeaks en est le parfait exemple. Dès que l'hébergeur bloque le site, des dizaines de sites "miroirs" sont créés [des sites reprennant le contenu originel, mais hébergé sous une autre adresse, NDLR]. C'est une course à l'échalotte !", lance le député de Haute-Savoie.
De plus, contourner un tel filtrage est très simple, pour un pédophile comme pour un député. "En 5 minutes, je peux vous créer un VPN [une connexion anonyme, NDLR] pour accéder à ce que je veux depuis le réseau de l'Assemblée nationale", ironise Lionel Tardy.
"Un réel problème pour la liberté d'expression"
L'autre problème du filtrage par nom de domaine est que les sites bloqués figueront sur une liste noire. Une liste établie sans aucun contrôle d'une autorité judiciaire.
"Tout se fera dans le secret, d'une manière opaque", résume le porte-parole de la Quadrature du net, Jérémie Zimmermann. "On ne saura pas quel site sera filtré, quels seront les abus et surtout il n'y aura aucune voie de recours", souligne-t-il.
"Cela pose un réel problème pour la liberté d'expression", enchaîne Maxime Rouquet du Parti Pirate. "Alors que le ministre [de l'Economie numérique] Eric Besson fait tout pour empêcher l'hébergement de WikiLeaks en France, avec la Loppsi le site pourrait être tout simplement bloqué..." "Le gouvernement a maintenant les mains libres sur le contrôle et la censure du net", tranche Jérémie Zimmermann. "La France est maintenant dans une situation proche de la Chine", renchérit Maxime Rouquet.
Un argument repris par le blogueur Bluetouff qui "n'a jamais eu aussi honte de ma vie d'être Français" et affirme "prendre le maquis, en bloguant de manière anonyme, loin de cet Internet français devenu nauséabond".
Tandis que le Parti Pirate dénonce "une manoeuvre électoraliste", le député de la majorité Lionel Tardy parle d'"une droite complètement larguée". Mélancolique, il affirme que son groupe "devrait s'organiser sur Internet en vue de la campagne de 2012", plutôt que de "se mettre à dos toute la sphère Internet". "Mais bon, c'est la vie...", conclut-il.
(Boris Manenti - Nouvelobs.com)
Authors: Nouvel Obs