15h30:
au troisième jour de leur université d'été, quelque 600 militants du mouvement de jeunesse du Parti travailliste commencent à entendre les premières informations sur l'explosion qui vient de secouer quatre minutes plus tôt le quartier des ministères à Oslo, à 30km de l'île d'Utoya où ils se trouvent. Ils ne savent pas encore qu'il s'agit d'un attentat à la voiture piégée, mais commencent à douter de la visite prévue du Premier ministre Jens Stoltenberg.
16h30:
les images de destruction et de mort d'Oslo poussent les jeunes militants à se réunir de façon informelle, qui à la cafétéria, qui sur les berges de l'île. Certains portent la main au front en voyant les images sur leur téléphone portable. Ceux qui habitent dans la capitale appellent leurs proches pour vérifier s'ils vont bien. «On se réconfortait un peu en se disant qu'on était en sécurité sur l'île. Personne ne savait que l'enfer se déchaînerait aussi pour nous», a confié la militante Prableen Kaur sur son blog.
17h:
dans le ballet des petites barques et bateaux desservant l'île, un policier arrive seul.
Armé, fait inhabituel, d'une arme de poing et un fusil d'assaut, l'homme explique qu'il vient renforcer la sécurité. C'est alors, racontent les témoins, qu'il lève son fusil d'assaut et lâche des rafales. Sa chasse sanglante vient de commencer.
17h10:
dans la cafétéria, Jorgen Benone discute encore avec ses amis de l'explosion d'Oslo quand le groupe «entend un mouvement de panique sur le rivage». «On s'est dit: qu'est-ce qui se passe? Des ballons qui éclatent? Ou alors quelqu'un qui fait une blague?», raconte-t-il. «C'est alors qu'on a réalisé que des gens se faisaient tirer dessus. Tout d'un coup, c'est devenu le chaos et tout le monde a couru dans tous les sens».
Certains sur l'île commencent alors à appeler les services de secours, mais il leur est demandé de ne pas bloquer les lignes sauf si l'appel concerne l'attentat d'Oslo...
17h15:
des témoins racontent que le tueur entre dans la zone des campeurs, poussant certains à se cacher dans leur tente. Méthodique, il passe de tente en tente et abat un à un les jeunes qu'il trouve, souvent à bout portant.
17h20:
Prableen Kaur tombe sur un groupe de jeunes militants paniqués qui fuient un homme portant le logo «POLICE» sur sa poitrine. «Ma première pensée a été de me dire: pourquoi est-ce que la police nous tire dessus? Mais qu'est-ce qui se passe?», écrit-elle.
Plus d'une dizaine de personnes s'entassent avec elle dans un recoin du bâtiment principal, allongées au sol. A un moment, la jeune femme voit son meilleur ami par la fenêtre. «Je me suis demandée si je devais sortir pour l'amener à l'intérieur. Je ne l'ai pas fait. J'ai vu la peur dans ses yeux».
17h25:
Kaur raconte qu'une rafale tirée tout près du bâtiment provoque la panique dans son groupe, tout le monde sautant alors par la fenêtre. Certains se blessent, dont une jeune fille qui se brise la cheville, mais le tireur ne vient pas de leur côté. Prableen se réfugie avec d'autres derrière un muret en briques, appelle sa mère sur son portable et envoie un SMS à son père. «J'ai prié, prié, prié. J'ai espéré que Dieu me voie».
17h30:
le tireur abat des jeunes fuyant leur cachette à son approche et certains se retrouvent sur les rives de l'île avec une seule chance de s'enfuir: à la nage. Prableen Kaur raconte que le tireur tente d'attirer les jeunes en criant: «Je suis de la police!». Ils répondent: «Prouvez-le!». L'homme tire alors sur tous ceux qui bougent. La jeune femme ne fait pas un geste, allongée sur les jambes d'une adolescente couverte de sang.
17h38:
la police norvégienne annonce qu'elle dépêche un commando. Ce dernier se rend à Utoya par la route et non pas à bord d'un hélicoptère. La police explique que préparer un hélicoptère au décollage aurait pris trop de temps.
17h45:
dans un camping situé sur le continent, à 800m des berges d'Utoya, le propriétaire Brede Johbraaten dit avoir entendu d'abord des coups de feu -saccadés ou au coup par coup- pendant une bonne demi-heure. Mais il réalise pleinement l'ampleur du drame quand les premiers rescapés, qui ont eu le courage de fuir à la nage, arrivent. Aucun n'est blessé, mais tous racontent avoir vu beaucoup de leurs camarades se noyer pendant la traversée, certains parce qu'ils avaient perdu trop de sang et d'autres à cause de crampes.
M. Johbraaten, 59 ans, et quelques campeurs réunissent plusieurs embarcations qui convergent vers l'île afin d'y recueillir des nageurs ou des corps. Ce geste de courage a un effet indésirable inattendu: lorsque les policiers arrivent, ils n'ont plus aucun bateau pour se rendre sur l'île...
18h:
des témoins se cachant derrière des rochers, qui savent bien que le «policier» n'en est pas un, voient avec horreur quatre jeunes chercher secours auprès de lui. L'homme les abat tous d'une balle dans la tête.
18h20:
le commando de police arrive enfin sur l'île et se déploie, sans savoir combien de tireurs il y a. Jorgen Benone, qui fait partie de ceux se cachant derrière un rocher, raconte: «Je me suis dit (...) qu'il valait mieux ne pas courir à découvert parce qu'il pourrait me voir». Et d'ajouter: «J'ai repensé à toutes les personnes que j'aime et je n'avais qu'une seule envie: rentrer chez moi».
18h35:
les policiers trouvent enfin le tueur et lui ordonnent de déposer ses armes. Il s'exécute, avant d'être arrêté sur le champ. A ce moment-là, Prableen Kaur confie avoir le courage de se relever et s'aperçoit qu'elle était allongée sur le cadavre d'une adolescente. «Mon ange gardien», dit-elle. Elle saute alors dans l'eau pour rejoindre d'autres jeunes accrochés à une grosse chambre à air. Un bateau passe, mais il y est déjà plein de survivants. On leur lance donc des gilets de sauvetage.
19h:
la petite flottille de secouristes continue de faire le tour de l'île à la recherche de survivants, se rapprochant de plus en plus du rivage, la fusillade ayant pris fin. Prableen Kaur est enfin secourue, mais beaucoup de jeunes ont encore peur de sortir de leur cachette. Jorgen Benone raconte ainsi avoir vu plusieurs bateaux s'approcher, se demandant si ces secouristes ne seraient pas non plus des tueurs comme le faux policier. «Je ne savais pas si je pouvais leur faire confiance, je ne savais plus à qui faire confiance. Mais j'ai quand même agité les bras et sauté à l'eau. J'ai pleuré, c'est vous dire combien j'étais heureux. Mais j'avais tellement froid. J'étais glacé».
(L'essentiel Online/AP)
Authors: