Thursday, 05 January 2012 17:48
Ces présidents étrangers accros de Twitter
A peine @chavezcandanga apprenait-il, le 28 décembre dernier, que sa chère @CFKArgentina était atteinte d'un cancer qu'il s'empressait, lui-même souffrant du même mal, de lui transmettre ses condoléances dans un message sur Twitter :
@CFKArgentina Toute la solidarité, les prières et l'amour du peuple de Bolivar, pour vous accompagner aujourd'hui et toujours. Nous vivrons et vaincrons !!"
@CFKArgentina ? @chavezcandanga ? Derrière ces pseudos très web 2.0, ce sont bel et bien la présidente d'Argentine Cristina Kirchner et son homologue vénézuelien Hugo Chavez, adeptes passionnés de la plateforme de microblogging, qui pianotent en personne sur leur clavier pour échanger régulièrement en 140 signes au vu et au su de tous. Pour dire quoi ? Tout et n’importe quoi. En apparence du moins.
Ils ne sont pas encore très nombreux sur la planète à se lancer ainsi sans filet sur Twitter, et parmi ces téméraires, Chavez est sans aucun doute l'un des plus accros.
Activiste cybernétique
Lui qui s'était promis de devenir un "activiste cybernétique", de "creuser (sa) tranchée sur internet (...) pour communiquer avec le monde", a pris le tournant twitter dès avril 2010. Son penchant pour le tweet vire même au prosélytisme. Il a essayé de convaincre le président bolivien Evo Morales de s’y mettre. En vain. Et lors d’un match Paraguay-Venezuela le 13 juillet dernier, alors que les Vénézuéliens venaient d'égaliser, il est allé provoquer son homologue Fernando Lugo - mais visiblement, ce dernier a préféré, comme la plupart des grands de ce monde, déléguer son compte à son équipe de communication :
@Fernando_Lugo Je te l’avais dit !!! Le Venezuela est grand !!! Egalitéééééééé !! Longue vie à la nation de Bolivar !!! Longue vie à notre jeunesse !!!"
Un téléphone rouge
Chavez, Kirchner, mais aussi les présidents de l’Equateur Rafael Correa, du Panama Ricardo Martinelli, du Chili Sebastian Piniera, du Mexique Felipe Calderon… Les latino-américains occupent le terrain. Est-ce dû au développement effréné que connaît Twitter sur le continent, qui y a vu son nombre d’abonnés multiplié par 13 entre 2009 et 2010 quand il l'était par 5 à l’échelle mondiale selon une étude de ComScore, spécialisée dans la mesure d'internet ? Face à cet essor dans ces pays où quelque 30% de la population a moins de 15 ans, les chefs d'Etat cherchent à se donner une image de leaders modernes et "connectés", qui racontent leur vie, plaisantent, etc.
La page twitter de Queen Rania
Mais ça gazouille aussi du côté du Premier ministre canadien Stephen Harper, de la reine Rania de Jordanie, de l'émir de Dubaï Mohammed ben Rachid Al Maktoum, du président rwandais Paul Kagamé… Même Barack Obama, s’il laisse la plupart du temps à ses collaborateurs le soin de twitter pour lui, signe de temps à autre des tweets "bo" pour bien montrer que ceux-là sont directement de lui. Le président américain a même inauguré un exercice de démocratie directe via Twitter, en juillet dernier, en organisant une live-tweet-interview avec les internautes. Il est aussi l'auteur de cette boutade lorsque Dmitri Medevdev est à son tour entré en lice : il serait peut-être envisageable qu’ils puissent désormais mettre de côté le "téléphone rouge" pour communiquer entre eux, a-t-il lancé à des journalistes. D’autres s’y sont vraiment essayés.
En décembre 2010, les twittos qui suivaient le président mexicain Felipe Calderon et le premier ministre norvégien Jens Stoltenberg ont pu les voir discuter, en tranches de 140 signes, de la conférence de l’Onu sur le climat de Cancun. Encore plus surréaliste, le ministre suédois des Affaires étrangères Carl Bildt a lancé, en mai 2011, à son homologue du Bahreïn Khalid bin Ahmed al Khalifa :
@khalidalkhalifa Je cherche à vous joindre pour vous parler de quelque chose" !
Et ce dernier de répondre :
@carlbildt Je serai ravi de discuter avec vous… Votre tweet a fait le tour du monde."
Mais cette utilisation dynamique et plutôt réjouissante de Twitter reste anecdotique. Le codirecteur pour les médias du Forum économique mondial de Davos, Matthias Lufkens, a ainsi calculé que sur les 62 leaders des 49 pays utilisant Twitter, seuls 25 d'entre eux suivent mutuellement le compte d'un autre dirigeant. On est encore très loin d'une tweet-diplomatie : derrière le côté décontracté des échanges, aucune information n'est divulguée. Les grands de ce monde savent bien qu'ils s'exposent ainsi : ils en jouent tout en gardant le contrôle. Mais l'exercice n'est pas sans risque.
Tweet-clash
Echange entre Ian Birrell Paul Kagamé sur twitter
En mai dernier, le journaliste britannique Ian Birrell découvre, éberlué, que le président rwandais Paul Kagamé, piqué au vif, vient de répondre personnellement à l'un de ses tweets.
"Ni les médias, ni les Nations unies, ni les groupes de défense des droits de l’homme n’ont l’autorité morale nécessaire pour me critiquer, estime le despotique et délirant Paul Kagamé", avait écrit le journaliste. La riposte de l'intéressé est cinglante :
@ianbirrell Vous non plus… Aucune autorité morale!"
S'ensuit un tir nourri d’une douzaine de messages, certains écrits dans le style texto en anglais, comme "Wrong u r", que Ian Birrell a reproduits ici.
Ricardo Martinelli s’est lui aussi fait piéger par ces petites phrases que l’on n’a pas tournées sept fois dans sa bouche avant de les laisser filer. Violemment attaqué sur l’état de l’économie par un internaute, le président du Panama lui a répondu par un énigmatique "Respect hp". "Hp" ? Pour "hijo de puta", "fils de pute", ont décrypté les Panaméens adeptes de Twitter. A la lecture des commentaires peu amènes suscités par son tweet, Martinelli a voulu rectifier le tir dans un second message : "Pour tous ceux qui pensent à mal, hp signifie Harry Potter. Merci". C'est dire s'il a été convaincant !
La radio du 21e siècle
Reste que l’immense majorité des tweets produits par des chefs d’Etat ou de gouvernement n’a pour but que de promouvoir, expliquer, défendre, annoncer leur politique. Un continuum souvent soporifique interrompu ici ou là d’une rare réponse à un internaute. Même Chavez, lorsqu’il ne commente pas les matchs de foot ou ne félicite pas sa copine Kirchner qui vient d’annoncer qu’elle est grand-mère, n’y coupe pas.
"Twitter, c'est un peu la radio du 21e siècle", analyse Stanislas Magniant, cofondateur de netpolitique, qui s'intéresse au traitement de la politique sur Internet. "Il peut être utilisé comme un outil de broadcasting. Lorsque l'on va sur la page d'accueil d'un abonné de twitter, on a l'impression d'être face à un long monologue. La partie dialogue étant à un ou deux clics, l'interaction – et a fortiori les critiques – n'est pas visible immédiatement."
D’où l’intérêt notable que lui portent des chefs d’Etat de régimes autoritaires ? C’est l’un des grands paradoxes de ce réseau social : utilisé par les dissidents pour contourner la censure, il l’est aussi par leurs dirigeants. "Cet outil se prête bien aux leaders charismatiques, qui recherchent une personnification de leur message, un rapport direct à la population, qui veulent mettre un visage sur leur politique", observe Stanislas Magniant. Pour attirer des abandonnés, il faut que la démarche politique et personnelle se confondent. Bref, c’est un canal qui peut très bien servir le populisme."
Et la France ? Nicolas Sarkozy n'a pas l'air de goûter aux vertus de twitter comme l'a révélé l'épisode Eric Besson, accusé par son patron de "passer ses journées sur Twitter"… Pourtant, on aurait pu facilement l'imaginer lâcher un "Casse-toi pauv' con" à un twitto un peu intrusif. Mais "twitter ne colle pas vraiment avec la personnalité de Sarkozy", estime Stanislas Magniant. "Ni avec la tradition politique française, d'ailleurs, qui veut que la parole présidentielle puise sa solennité dans la rareté médiatique." Bref, chez nous, ce n'est pas pour demain.
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