Vendredi, 18 Mars 2011 12:37
[INTERVIEW] WikiLeaks, l'envers du décor (1/2)
Nouvelobs.com tente de lever le voile d'une structure opaque "où Julian Assange est au sommet", en interrogeant un membre du "premier cercle" de WikiLeaks.
Retour sur l'obscur WikiLeaks, le site qui publie au compte-gouttes depuis décembre les 251.187 notes diplomatiques confidentielles américaines, plaidant pour la transparence des gouvernements. Pour autant, l'organisation de WikiLeaks cultive le culte du secret, avec pour seul visage le fondateur Julian Assange.
Nouvelobs.com tente de lever le voile sur une structure opaque en interrogeant l'un des membres du "premier cercle" de WikiLeaks, sous couvert d'anonymat. Une interview réalisée notamment via les réseaux de discussions IRC (chat), sur lesquels sont largement présents les membres de WikiLeaks, identifiés derrière des pseudonymes.
Qui travaille pour WikiLeaks ?
- Des volontaires, au départ essentiellement venus du monde de l'informatique et du "piratage", auxquels se sont, depuis, agrégés des gens de tous horizons (souvent assez jeunes) qui partagent idéaux et connaissances. Il existe un semblant de structure à l'organisation, mais c'est loin d'être une pyramide. Cela ressemble plus à une fourmilière où vont et viennent des "bénévoles".
Quels sont ces "idéaux" ?
- La liberté d'expression, le droit des peuples à l'accès aux informations quelles qu'elles soient, la transparence des politiques publiques et des entités privées. Enfin, au-delà du public, nous souhaitons que des chercheurs, historiens, sociologues, politologues... aient accès aux documents confidentiels dès maintenant, pour améliorer notre compréhension d'un monde en mouvement rapide et permettre aux peuples, au final, de prendre les décisions les plus avisées et éclairées.
Combien de collaborateurs êtes-vous ? Sont-ils rémunérés ?
- Officiellement, WikiLeaks prétend avoir près de 800 collaborateurs. Il est difficile --même pour moi-- de connaître le nombre exact de salariés mais je l'évalue, à ce jour, entre 20 et 25. C'est énorme ! Au moment de la publication des Warlogs Iraquiens [en 2010], Julian Assange était le seul à se verser un salaire. Autour des salariés, "embauchés" quand les "affaires" sont devenues juteuses avec la publication des câbles diplomatiques, travaillent quelques dizaines de bénévoles permanents. Fiables, connaissant bien les ficelles de l'organisation, ils constituent l'essentiel des troupes. Après, quelques centaines d'âmes charitables font, ont fait ou feront un petit boulot pour WikiLeaks (une traduction d'article ou de communiqué, le stockage d'un disque encrypté, l'habillage du site web, etc.).
Loin des 800...
- Le chiffre est nettement exagéré. Cela dit, on peut considérer que les "soutiens" de WikiLeaks se comptent en milliers, peut-être même en dizaines de milliers. Par exemple, lorsque le site a été attaqué puis "fermé", des milliers d'internautes ont accepté d'héberger un site miroir de WikiLeaks. Mais ces gens-là ne forment pas une entité qui communique et partage. Ce sont autant d'individus isolés.
Quelles sont les différentes tâches ?
- En "temps normal" (sans les câbles), il y a deux activités essentielles : la partie informatique (maintenance du réseau et du site, gestion des fuites, sécurité, stockage des fuites) et la partie "journalistique" (analyse des documents, préparation pour publication, rédaction de synthèses ou d'articles et vérification d'authenticité, même si cette dernière relève plus du mythe WikiLeaks que de la réalité). Les finances sont gérées par Julian, pour l'essentiel.
Vous critiquez la vérification de l'authenticité des documents ?
- Il n'y a pas réellement de vérification des sources. La politique de la maison est plutôt : "publions tout, nous verrons si certains nient avec plus de sincérité que d'autres". J'ironise ici mais c'est un problème : on ne peut pas publier n'importe quoi, n'importe comment. De tous les mythes concernant WikiLeaks, c'est sans doute l'un des plus problématiques. Il y a eu un peu de travail journalistique, notamment sur la vidéo "Collateral Murder" où [le porte-parole officiel] Kristinn Hrafnsson et son ancien cameraman ont été en Irak pour réaliser des interviews des familles des victimes... Mais, dans l'ensemble, ce travail n'est pas fait faute de temps et de personnel. Et parce que la "ligne éditoriale" privilégie les "coups" médiatiques aux recherches fouillées.
Quelle est la hiérarchie de WikiLeaks aujourd'hui ?
- Rien n'est moins clair. Julian [Assange] est au sommet. Kristinn Hrafnsson est son lieutenant et porte-parole. Jacob Appelbaum sert parfois de porte-parole de remplacement. Le reste n'est que spéculation. Même pour moi, c'est flou. J'ai beaucoup de noms (ou plutôt des pseudonymes) mais pas vraiment de diagramme clair.
Chez WikiLeaks, tout repose sur Julian Assange ?
- Presque. Il a délégué certaines choses, comme la construction des serveurs, la rédaction des articles et autres documents de travail, l'entretien du site... etc. Mais pour l'essentiel, c'est lui, notamment la "ligne éditoriale", les décisions financières, les transactions avec les medias, etc.
Quelle est cette "ligne éditoriale" ?
- Aujourd'hui, il y a un vrai processus de décision quasiment politique dans le choix de l'ordre et de la méthode de publication, contrairement à ce qu'il se passait avant où toute contribution sérieuse trouvait sa place sur le site. C'est à mon sens un problème et j'espère que nous retrouverons bientôt un fonctionnement plus normal où aucune fuite ne devient si importante qu'elle en vient à éclipser totalement les autres.
Quel est votre rôle dans tout cela ?
- Mon rôle au sein de WikiLeaks a changé plusieurs fois. J'ai commencé à la partie informatique, mais je participe maintenant aussi à la partie "journalistique". Aujourd'hui j'ai une position assez centrale et donc une bonne vue d'ensemble sur la fourmilière...
Interview de l'un des membres, anonyme, du "premier cercle" de WikiLeaks par Boris Manenti
- Contacté sur le canal de discussion, des porte-paroles "non officiels" de WikiLeaks ne souhaitent pas commenter ces informations. "Je ne peux répondre parce que, comme vous savez, nous gardons beaucoup d'informations secrètes à propos de l'organisation", affirme l'un d'eux.
Interrogé par e-mail, Julian Assange et le porte-parole de WikiLeaks n'ont pas donné de réponse.
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