Samedi, 30 Juillet 2011 09:00
Ciel, mes vieux sont sur Facebook !
Publié le 27-07-11 à 12:17 Modifié le 30-07-11 à 09:29 par Le Nouvel Observateur
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Sur sa photo de profil, Anna pose au milieu d'une meute d'amis éméchés, sur la piste d'une boîte de nuit. Les yeux hagards, sourire bienheureux, une pinte de bière à la main. Ivre et contente de l'être. Hervé l'est moins. "Friend " avec sa fille sur le réseau, il a vite déchanté en découvrant sa vie nocturne. Comme lui, une vague de parents, oncles, tantes, papis et mamies assiège aujourd'hui Facebook. Le site "Oh Crap ! My Parents joined Facebook !" (Oh merde, mes parents sont sur Facebook !) s'en amuse. C'est écrit sur la page d'accueil : "Félicitations, ta vie est officiellement terminée. "
"Je t'aime, mon canard"
La famille sur Facebook, c'est un peu comme si Tatie débarquait dans la cour du lycée pour apporter le goûter. C'est la maman d'Alexandre, 25 ans, qui commente tendrement son statut : "Quand est-ce que tu rentres à la maison, mon doudou ? " Le grand-père de Marie, qui poste des photos d'elle à 10 ans, en maillot de bain sur sa bouée dauphin. Timothée, 12 ans, qui découvre sur son mur une déclaration de sa grande soeur : "Je t'aime, mon canard. " Ou Camille, qui doit effacer de son profil impeccable les messages nunuches de sa petite cousine - "Kikoo Camille, ça va le travail ? ? ? ! " Au-delà du ridicule, avoir ses proches en "amis ", c'est surtout signer l'arrêt de mort de son intimité. Louise en a fait les frais. Persuadée d'être protégée par la caution "groupe privé " d'une page montée avec ses amis, la lycéenne a mis en ligne la vidéo d'un de ses week-ends de beuverie. En images, lancers de chaise, danses effrénées, alcool à gogo... Louise y prononce au passage une petite phrase, très crue, qui vante les "attributs " de l'une de ses conquêtes. Problème, sa mère est tombée sur la vidéo en question. Coup de fil, rire jaune de la génitrice : "J'ai vu ton film, ça avait l'air folklorique, ha ! ha ! " Louise accuse le coup : "C'est moche, ça abîme l'image de petite fille sage que mes parents ont de moi." C'est parfois l'image des parents qui en prend en coup. Une fille a découvert que sa mère avait rejoint, sur Facebook, le groupe "La lingerie sexy, pour lui faire plaisir à lui, mais aussi à moi ". Elle aurait préféré ne rien savoir sur le sujet : "Comment ça, maman a une vie sexuelle ? "
Une mère reste une mère
Facebook a beau être le royaume de la "coolitude ", une mère reste une mère, un frère reste un frère. Et on a parfois du mal à les accepter sous un autre jour, en amis ou en amants libérés. Katherine, une romancière exilée à Berlin, l'avoue : elle ne parvient pas à se faire aux statuts amoureux de sa cadette de 13 ans, qui change tous les mois de petit ami. Elle va donc régulièrement fouiner sur les profils des garçons en lice. "Le premier avait une gueule de petit con, genre je fais du snowboard et je prends des photos avec des filles à Courchevel. " Elle s'inquiète, tente de ne pas jouer les rabat-joie. Si elle avait eu Facebook à cet âge, Katherine aurait sûrement fait la même chose... "Mais je suis un peu vexée, confie-telle, de ne pas avoir appris tout ça de sa propre bouche." Son amie Flora, elle, a eu moins de tact. Devant une photo où sa petite soeur de 18 ans pose avec son copain, sur le lit d'une chambre d'hôtel, elle tente un message confidentiel : attention aux données personnelles, à ne pas trop afficher sa vie privée... Réponse immédiate : "Je trouve pas que c hyper abusé, on est en vacances au soleil voilà. " Et bim, depuis, Flora n'a plus accès au mur de sa soeur. Ni trop de nouvelles. De nombreuses "victimes " de l'ingérence familiale ont adopté la personnalisation des paramètres. Certaines photos ou informations sont dorénavant interdites aux proches les plus intrusifs.
"Papi Gestapo"
D'autres refusent carrément de devenir "amis" avec eux. De quoi calmer les ardeurs des "vieux " qui rejoignent généralement le réseau pour se rapprocher de leur progéniture, et jeter au passage un oeil discret sur leur vie privée. Quand son grand-père a manifesté le désir d'aller sur Facebook, Marc, un Bordelais de 25 ans, a prétendu ne pas traîner souvent sur le réseau. Accepter son aïeul comme "friend ", c'était le cauchemar assuré. "Il est du genre à tout noter et, après, à te poser plein de questions. " Un vrai "papi gestapo ". Marc a aussi bloqué sa mère, qui est capable de fliquer sa vie sentimentale dans l'espoir d'y trouver sa future belle-fille. "On peut ne pas vouloir que les parents accèdent à notre univers Facebook, de même qu'on refuse l'accès à sa chambre parce que c'est le territoire de l'intime ", note la sociologue Nina Testut, auteur "Facebook. Et moi ! Et moi ! Et moi ! " (Editions Hoëbeke). Géraldine, elle, avait accepté sa mère avant de l'évincer de ses contacts. Trop de questions, trop d'espionnage. Trop de remontrances, aussi. "Maintenant, c'est hors de question !" jure la jeune comédienne. La mère bannie a du mal à s'y faire, d'autant que Géraldine a accepté son père : "Son wall est trop cool ! Et lui, il ne me prend jamais la tête. " Facebook attise les jalousies et sème souvent la pagaille dans les repas de famille.
"On se sent déshabillée"
Chaque dimanche ou presque, Lise, publicitaire en herbe, a droit aux petites remarques : "Dis-donc, tes week-ends..." Chacun y va de son commentaire, les cousins analysent ses photos, la grand-mère, ses tenues, le père se demande qui est le beau brun à lunettes qui la tient d'un peu trop près par la taille. La jeune femme fixe la cuisse de poulet rôti-pommes dauphine pour ne pas hurler. "C'est l'inquisition permanente, on se sent déshabillée ", déplore Géraldine. Très excitée à l'idée de quitter l'Alsace pour quelques jours, elle a eu le malheur d'annoncer en ligne sa prochaine escapade dans la capitale. Elle a aussitôt reçu un appel vexé de son cousin parisien qui lui ordonnait de venir lui rendre visite. La jeune comédienne, plus tentée par les expos à Beaubourg et les apéros en terrasse, a décliné l'invitation. Le prochain barbecue familial promet d'être enflammé.
La vie amoureuse de Papa étalée sur son mur
Fille de divorcée, Clémentine, 23 ans, a quant à elle frôlé la crise cardiaque en parcourant son fil d'actualité. Elle est tombée sur des photos de la nouvelle amie de son père, expatrié depuis peu à l'étranger. Une certaine "Josépha ", allongée lascivement sur une plage en bikini argenté. Une semaine plus tard, elle découvrait avec stupéfaction le statut amoureux du papa : "Marié ". Très naturellement, le père a aussi usé du chat pour annoncer à ses filles que la demoiselle était "enceinte ". Et, sur le mur de Clémentine, il a écrit : "Salut Clem, ça va Tu m'as pas dit ta réaction concernant Josépha et le bb ? ? ? ? " Furieuse, Clémentine a balancé un message privé, en lui demandant de ne plus étaler publiquement sa trépidante vie amoureuse : "Un coup de fil, pour une nouvelle pareille, ça aurait été plus adéquat, non ? " Sûrement, mais aussi plus risqué.
Charline Blanchard - Le Nouvel Observateur
Article paru dans l'hebdomadaire du 28 juillet 2011
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