De retour d’Israël, ou la Fondation France Israël dirigée par Nicole Guedj, ex-ministre et secrétaire d’état, avait invité une délégation de blogueurs et de journalistes[1] à découvrir et rencontrer les principaux acteurs de l’économie numérique locale.
Un programme-marathon de quatre jours mené au pas de course, servi par une organisation au cordeau, qui nous a permis d’avoir une vision élargie, sans tabou et sans préjugé, de ce pays de 7,1 millions d’habitants qui ressemble un peu à un concentré du monde.
Impressions de voyage
Pour le voyageur qui n’a jamais mis les pieds en Israël (c’était mon cas), la première surprise arrive dès la sortie de l’aéroport Ben Gourion de Tel Aviv. Celui qui s’attend à trouver une cité au style oriental en sera pour ses frais : une fois passés les faubourgs, les infrastructures routières et l’architecture des gratte-ciels ultra-modernes qui constituent le skyline de la ville évoquent davantage une mégalopole occidentale ou asiatique – entre Los Angeles et Singapour – qu’une ville du Moyen-Orient. Une impression qui sera confirmée à Jérusalem, ou hormis le cœur de la vieille ville et le site religieux (et touristique) du Mur des lamentations, les enchevêtrements de freeways entrecoupés de lignes de tramway dernière génération mais également les rues piétonnes et commerçantes du centre-ville, parfaitement aménagées et alignant restos, bars branchés et boutiques de grandes marques, font plutôt penser à une ville européenne. Village mondial.
Quand Tel Aviv prend des airs de Los Angeles
Global village
Une autre impression qui émerge, cette fois après avoir rencontré nombre de start-ups et d’entrepreneurs locaux, est celle d’un grand village où tout le monde se connaitrait. Impression évidemment renforcée par la taille réduite du territoire et de sa population. En fait, de par la diversité des paysages (les villes côtoient les déserts), de la topographie particulière (plaines arides et coteaux fertiles), du mixage de populations (immigration en provenance du monde entier, forte communauté arabe de 1,4 million d’habitants), et du voisinage entre économie traditionnelle et high-tech, Israël ressemblerait finalement à une incarnation du fameux village mondial. Ajoutez à cela le climat et vous composez une photo en couleurs vives qui n’est pas sans rappeler celle de la Californie (l’autre pays des start-ups).
Au cœur du futur
L’objet de ce voyage était donc de nous faire découvrir l’innovation « à l’israélienne ». Pour les blogueurs high-tech et journalistes spécialisés qui composaient la délégation, le fait qu’Israël soit un pays innovant n’était a priori ni une surprise ni vraiment une découverte. Nous avons tous eu l’occasion de chroniquer ou couvrir à plusieurs reprises des services web, start-ups ou applications développés par des entreprises israéliennes. C’est le cas aussi sur Presse-citron, ici ou là entre autres. Nous connaissons aussi tous l’histoire de startupers français (comme Jérémie Berrebi ou Ouriel Ohayon par exemple), qui, chacun dans son style et à sa manière, incarnent ces centaines d’entrepreneurs qui après avoir débuté leur carrière dans leur pays de naissance, ont fait le choix délibéré de s’installer dans la Silicon Valley israélienne (ou à proximité) pour être au cœur de la matrice.
Mais au-delà de l’énumération des entreprises et personnes que nous avons rencontrés, nous avons surtout découvert un foisonnement et une énergie simplement incroyables. J’ignore si cette énergie est représentative d’un état d’esprit général qui règne dans le pays (nous n’avons rencontré que des entrepreneurs donc méfions-nous des généralisations un peu hâtives) mais ce que nous avons vu était plutôt enthousiasmant. A l’instar de ce qui se passe en Californie, tout ici semble un peu plus « facile » pour qui travaille dans l’innovation et souhaite développer une start-up liée au web ou au numérique. Une impression en trompe-l’œil ? Peut-être. Toujours est-il qu’avec 70 fonds d’investissement installés sur place, l’état hébreu compte le plus grand nombre de start-ups par habitant (plus de 3000) et jouit également de la plus forte densité d’ingénieurs au monde.
Concentré de QI
La première étape de notre French Blogs Tour 2011 nous a conduits au Technion, ou Israel Institute of Technology. Le Technion est un concentré de grosses têtes (sans Philippe Bouvard) qui rivalise sans complexe avec le prestigieux MIT américain, et où se forment les super-ingénieurs de demain. Ambiance campus à la coule où le QI de base doit se situer entre 150 et l’infini mais plus proche de ce dernier, et fait ressembler vos notions de PHP durement acquises à d’aimables graffitis rupestres. Témoin le jeune Yonathan qui, après avoir brillamment réussi Polytechnique à Paris prépare tranquillement son doctorat au GIP Lab en menant des expériences sur la compression d’image. Ses petits algorithmes l’ont conduit à inventer un format qui renverrait le .JPG à la préhistoire, ou à développer une caméra 3D assortie d’un logiciel de son crû qui modélise en relief et en temps réel les images filmées. Son avis sur Polytechnique ? « Bien, mais c’est le problème français : l’école forme des ingénieurs et produit des managers ou des politiciens, parce-que la recherche ou le développement informatique ne sont pas valorisés. Pas besoin de faire polytechnique pour diriger une entreprise ou devenir ministre. D’ailleurs je m’y ennuyais un peu. Trop facile… ».
Google et Yahoo, des entreprises israéliennes ?
Parmi les géants du web et de la high-tech présents sur place, Google et Yahoo! sont incontournables et dignement représentés. Prenons Google par exemple, sis à Matam, un quartier d’Haïfa, dans des locaux ultra-modernes avec vue sur mer. La division israélienne du géant de la recherche se spécialise dans la Recherche et Développement dans quatre domaines : Search, Google Apps, Networking et Analytics. Selon David Kadouch, chef de produit Moteur de recherche, l’objectif ici est « d’organiser l’information et la rendre accessible à tout le monde partout ». C’est ainsi que l’on apprend que quelques services célèbres de Google ont été imaginés et développés ici, en Israel. C’est le cas notamment de Google Suggest, Priority Inbox ou enbcore Got The Wrong Bob. Avec 200 collaborateurs, le bureau israélien de Google semble jouir d’une forte autonomie et est l’une des plus importantes implantations de la firme californienne à l’étranger, après Zurich.
Chez Google Haifa, il y a un télescope braqué sur la plage
Le centre de R&D de Yahoo, sur le trottoir d’en face, est du même acabit. Yahoo! Labs Israel est spécialisé dans le Search, et l’information sur l’audience internet. Dans une démonstration brillante et passionnée, Yoelle Maarek, responsable de l’équipe de recherche, est revenue aux basiques du search en nous expliquant au passage que chez Yahoo! aussi les algorithmes travaillent dur, aussi dur que Chez Google, même si Yahoo! est avant tout une entreprise focalise sur le contenu avant le search. En nous rappelant aussi qu’avec plus de 600 millions d’utilisateurs, Yahoo! Mail est loin devant Gmail (et juste derrière Hotmail).
La zone d’activité high-tech de Haifa (Google, Yahoo, Intel, etc…)
L’incubateur de l’espoir
Peut-être le volet le plus « politique » (au sens noble du terme) de ce périple, la visite très inspirante chez NGT (New Generation Technologies) a rappelé justement aux européens parfois un peu ignares ou arrogants que nous sommes que les relations entre juifs et arabes ne sont pas uniquement celles qui sont décrites généralement et de façon un peu trop binaire dans les médias. En fait, et cela se vérifiera à plusieurs reprises sur place, même si nous savons que nous ne sommes pas au pays des Bisounours, la réalité vue de l’intérieur est comme souvent bien plus subtile que ce que nous en percevons dans les caricatures occidentales.
Photos NGT : Jérémy Benmoussa – Locita
Situé dans le secteur arabe de Nazareth et dirigé par Nasri Said, un ingénieur arabe, NGT est un incubateur qui réunit des entrepreneurs juifs et arabes. Il faut savoir qu’il y a 23 incubateurs en Israël mais que NGT est le seul à œuvrer en secteur arabe. Lancé en 2002, cet incubateur technologique fait partie d’un programme financé par le gouvernement israélien et contribue au développement d’entreprises principalement spécialisées dans le secteur biotech (santé et médical). Pourquoi ? Parce-que historiquement les arabes ne pouvaient pas travailler dans les sciences informatiques, jugées comme un secteur trop sensible en matière de sécurité. NGT, doté d’un budget de 20 millions de dollars, distribue des fonds d’amorçage à hauteur de 7000 dollars par start-up, dont le gouvernement israélien prend en charge 80% du financement. Depuis sa création, NGT a aidé 20 entreprises dont 11 arabes, 6 juives et 4 réunissant des collaborateurs juifs et arabes. C’est peut-être une goutte d’eau dans le foisonnement de l’économie numérique de l’état hébreu mais je peux vous dire que cette perle de tranquillité et de collaboration intelligente entre arabes et juifs au cœur d’une terre de conflits est une sacrée leçon. De celles qui vous filent quelques frissons d’espoir et redonnent un peu foi dans le genre humain.
Cisjordanie, quelque-part entre Nazareth et Jérusalem
Saul Singer, raconteur de start-ups
Après une visite de Jérusalem qui fut la seule « pause touristique » de cette expédition, une rencontre avec Yigal Palmor, porte-parole du Ministère des Affaires Etrangères (qui nous gratifia d’un joli tacle appuyé sur les médias européens et plus particulièrement l’AFP) et une écoute polie de la keynote d’ouverture de la conférence Facing Tomorrow avec entre autres Tony Blair (vivifiant), Amos Oz (bousculant) et BHL (lénifiant), petit déjeuner à la fraîche avec Saul Singer, co-auteur de Start-Up Nation, un best-seller qui raconte et explique pourquoi et comment Israël est, avec seulement 7 millions d’habitants, devenu le pays qui compte le plus de start-ups au monde avec les USA, et comment, après les USA, Israël est le pays le plus fortement représenté dans les entreprises côtées au NASDAQ. Son crédo ? « Dans la plupart des pays, les deux grandes étapes de la vie sont l’école puis la vie professionnelle. En Israël, il y a une troisième étape intermédiaire, l’armée. Ce passage obligé par le service militaire fait partie intégrante de la culture entrepreneuriale du pays car il inculque chez les jeunes et futurs étudiants une notion de mission à accomplir, d’un truc à réussir coûte que coûte quelles que soient les conditions, les difficultés et l’adversité. » Une vision intéressante même si peut-être quelque-peu idéaliste, car comme me le faisait remarquer un peu ironiquement un jeune entrepreneur, si tu es cuistot à l’armée, la notion de mission à accomplir est toute relative.
Cela étant, cette vision a constitué une sorte de fil rouge de toutes nos rencontres : nous n’imaginons pas à quel point l’armée est importante dans l’économie et le « start-up state of mind » israélien. C’est ici que l’innovation est probablement la plus vivace et c’est des laboratoires de recherche de l’armée que sortent les technologies les plus pointues du monde. Un véritable moteur pour les entreprises du pays, ou la chose militaire n’est pas perçue comme une machine de guerre mais comme une sorte de campus de l’innovation permanente dans lequel les meilleurs cerveaux libèrent leur jus sans la pression des marchés, et dessinent le futur.
Start-ups et grosses boîtes israéliennes, work in progress
C’est entendu : Israël n’est pas que le pays des Oranges et des drones. Ici se joue aussi une portion de l’avenir de l’économie numérique et de l’innovation. Dans une version d’ailleurs davantage high-tech que social media en vérité. Les têtes bien faites semblent ici d’avantage s’intéresser à la technologie qu’au réseautage, même si de belles perles existent à peu près dans tous les domaines. Nous avons rencontré et/ou visité des dizaines de start-ups, d’entrepreneurs et de blogueurs, trop pour les énumérer dans cet article déjà très long, et ceci fera donc l’objet d’un prochain article.
Les acteurs du numérique israélien, en tout cas ceux que nous avons côtoyés, ont une chose en commun : l’enthousiasme, mais surtout un besoin d’attention qui m’a surpris. Amis blogueurs high-tech français, je peux vous dire que les entrepreneurs israéliens – et pas seulement les francophones – vous lisent assidument et témoignent une reconnaissance rafraichissante quand par hasard vous avez couvert leur entreprise dans vos colonnes.
Symptôme probable d’une volonté de sortir des clichés par la technologie et peut-être de montrer que la société israélienne est finalement assez éloignée de certains lieux communs véhiculés à son sujet.
La suite dans un prochain article : tour d’horizon des entreprises et blogueurs rencontrés sur place, et quelques mots sur les à-côtés du voyage
La délégation au complet écoute attentivement en mangeant des glaces chez Google
[1] délégation composée de :
Blogueurs
Journalistes
- Le Figaro – Cécilia GABIZON
- 01 Informatique – Stéphane BELLEC
- Le Journal du Dimanche – Camille NEVEUX
- Challenges – Jean-Baptiste DIEBOLD
- AFP – Katia DOLMADJIAN
(je ne mets pas les liens car ce serait réduire ces publications à leur seule version web, ce qui ne serait pas très juste)
Authors: