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Vendredi, 07 Octobre 2011 10:00

Steve Jobs, par Roberto Di Cosmo: un talent unique de «dénicheur d’inventions»

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Roberto Di Cosmo est professeur à l’université Paris-Diderot où il enseigne l'informatique. Il est directeur de l’Irill (Initiative pour la recherche et l’innovation sur le logiciel libre). Engagé de longue date dans la défense et la promotion du logiciel libre, il a publié en 1998 avec la journaliste Dominique Nora Le hold-up planétaire. La face cachée de Microsoft (Calmann-Lévy). Il réagit pour Sciences et Avenir au décès de Steve Jobs, le fondateur d'Apple, victime d'un cancer du pancréas à 56 ans. "Une philosophie aux antipodes de celle que je défends" « L'annonce de sa mort fut un moment particulier et ambivalent pour moi. De par mon engagement de longue date pour le logiciel libre, j'ai toujours été opposé aux systèmes fermés. Et il est difficile de trouver aujourd'hui des produits plus fermés et plus verrouillés que ceux d'Apple... Que ce soit leurs ordinateurs, leurs iphones, les ipads et autres ipods, il est impossible d'accéder à leurs codes source et de les modifier.En ce sens, la philosophie d'Apple est aux antipodes de celle que je défends. Et pourtant, la mort de Steve Jobs m'a touché profondément : il s'agit d'une personnalité unique qui a eu une grande importance dans le paysage technologique actuel. Un moteur commun: l'obsession de la qualité Ce que j'ai pu observer chez Steve Jobs, était une obsession absolue à obtenir des produits de la plus haute qualité : des logiciels, et des objets dont les auteurs devaient se sentir fiers. Si on visite le musée de l'Informatique à la Cité de la Science à la Villette, on peut d'ailleurs observer qu'à l'intérieur de la coque des premiers Mac il y avait la signature de leurs créateurs. Ce désir de perfection, et ce sentiment de fierté pour le travail accompli sont aussi, au fond, le moteur de bien des chercheurs et développeurs qui cherchent à obtenir des logiciels libres de la meilleure qualité possible. Steve Jobs avait aussi un charisme qui lui permettait de faire partager au plus grand nombre cette passion.Là où nos chemins divergent, c'est sur la marge de choix que l'on veut laisser à l'utilisateur final : dans les produits phare d'Apple, cette marge est si étroite qu'on ne peut pas faire beaucoup plus que changer le fond d'écran... "J'admire cette volonté farouche d'obtenir des produits de qualité alors qu'il est tellement facile dans le monde d'aujourd'hui de s'accommoder d'objets banals et mal finis" Une qualité rare: "dénicher le premier les inventions cachées" Steve Jobs avait également une qualité rare, celle de reconnaître la bonne technologie et de savoir l'utiliser. Quitte à se remettre totalement en question, une autre qualité dont je me sens proche. Il n'est pas facile de dénicher le premier les inventions cachées dans un laboratoire de recherche et de les transformer en innovations accessibles à tous. Dans le fond, c'est une démarche qui demande beaucoup d'humilité : débarquer dans une équipe de recherche et dire «ça c'est la bonne façon de concevoir une interface graphique!», c'est aussi admettre qu'on a trouvé mieux que ce qu'on sait faire déjà.Plusieurs concept fondamentaux dans le socle technologique des produits qui ont fait le succès d'Apple viennent d'idées qui ont été développées à l'origine aussi par des équipes françaises, dont le projet LeLisp de l'Inria, et qui avaient été incorporée dans l'ordinateur NeXT, une machine qui avait, en 1989, plus de dix ans d'avance sur son temps. C'est Steve Jobs qui a recruté, à l'époque, Jean-Marie Hulot, le concepteur génial de InterfaceBuilder. Et une grande partie du code à la base des produits Apple est issu de projets en logiciel libre : le noyau du système d'exploitation et le moteur du navigateur web Safari en sont des exemples. Je ne vois personne d'autre aujourd'hui capable de reprendre ce flambeau de défricheur. Ce qui est dommage. Il y a tellement de trésors de produits de recherche qui restent au fond des tiroirs et ne parviennent jamais au grand public... J'admire cette volonté farouche d'obtenir des produits de qualité alors qu'il est tellement facile dans le monde d'aujourd'hui de s'accommoder d'objets banals et mal finis. Ses concurrents ainsi que leurs clients devraient lui être reconnaissants : Steve Jobs a forcé le reste de l'industrie à s'aligner et à sortir de meilleurs produits. Pas un second Bill Gates Venant de moi qui ai toujours critiqué Microsoft et sa mainmise sur l'informatique, mes propos pourraient étonner et l'on pourrait me rétorquer «Steve Jobs, Bill Gates même combat !». Or, de mon point de vue, pas du tout. Microsoft a profité d'une position de monopole inouïe, qui lui a permis de freiner l'innovation pendant presque deux décennies, tout en nous obligeant à payer des licences Windows sur chaque ordinateur vendu, même si on ne veut pas (essayez encore aujourd'hui d'acheter un ordinateur sans Windows préinstallé dans un grand magasin). Ça n'a pas été le cas d'Apple, du moins jusqu'à très récemment.Je n'aime pas porter des jugements personnels, mais ayant eu l'occasion de croiser les deux hommes lors de conférences il y a quelques années, je ne peux éviter de remarquer que Steve Jobs possédait un charisme impressionnant, et une passion contagieuse qui faisaient de lui quelqu'un d'unique. Je n'ai pas rencontré d'autre personne, Bill Gates ou autre, qui lui arrive à la cheville. Apple sans Steve Jobs? Une inquiétante guerre des brevets Difficile de prédire le futur d'Apple désormais. Quand on connaît le fonctionnement de ces entreprises, où les produits qui y sont développés sont soumis à un processus de conception très long, je pense que pendant deux ans elle pourra continuer sur sa lancée et vivre sur les projets déjà en chantier. La question qui se pose est : durant ces deux années à venir, va-t-elle savoir découvrir des produits suffisamment innovants pour lui permettre de durer au delà?Ce qui m'inquiète actuellement est la guerre des brevets à laquelle se livrent Apple, Samsung, Google et Microsoft. Ce n'est jamais très bon signe pour l'innovation quand des entreprises de cette taille ont du temps et de l'énergie à perdre dans ce genre de conflits... » Propos recueillis par Hervé Ratel Sciences et Avenir.fr07/10/11 Lire aussi la rencontre avec Roberto Di Cosmo publiée dans Sciences et Avenir, n°751 (septembre 2009): "Offrons aux jeunes les clés du pouvoir et de la liberté"  Authors:
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