Maître de conférence à l'Institut d'études politiques de Paris et romancier, Antoine Buéno, qui ne veut en rien casser la magie des petites créatures bleues, n'en analyse pas moins leur société avec les armes féroces de la science politique et de la schtroumpfologie.
Et Maya l'abeille? Le critique littéraire Sven Hanuschek de la Ludwig-Maximilians-Universität (LMU) de Munich avait déjà estimé en mars dernier que l'auteur de «Maya l'abeille» Waldemar Bonsels, pouvait être antisémite. Il suspectait en effet le «complot juif». L'auteur s'est par ailleurs distingué dans les années 30 et 40 par ses écrits antisémites. «Très peu d'Allemands savent qui était Bonsels, et encore moins que c'est le père de Maya l'abeille», avait déclaré Hans Sarkowicz en 2005, auteur d'un livre intitulé «Les artistes d'Hitler». En 1912, quand Bonsels écrit «Maya l'abeille et ses aventures», l'ouvrage connaît un succès mondial. Mais en 1933, les nazis l'inscrivent sur la liste des auteurs interdits. «Certains de ses ouvrages étaient considérés comme anarchistes ou trop érotiques», explique Hans Sarkowicz. Dès lors, Bonsels n'hésite pas à marquer sa sympathie pour les nazis. «En grande partie par opportunisme, mais aussi parce qu'il était profondément antisémite». En 1943, Bonsels écrit «Dositos», un livre à l'antisémitisme virulent dédié au ministre de l'Intérieur Wilhelm Frick. L'ouvrage sera publié en 1949, après avoir été largement expurgé.Après avoir traité de questions fondamentales sur la nature biologique ou la sexualité des Schtroumpfs - au fait, pourquoi n'y a- t-il qu'une seule schtroumpfette? -, Antoine Buéno tente de démontrer que leur société «est un archétype d'utopie totalitaire empreint de stalinisme et de nazisme».
Le nom et la «novlang» schtroumpf étaient nés lors d'un déjeuner entre Pierre Culliford, alias Peyo, et son complice André Franquin, en avril 1958: au lieu de «passe-moi le sel !», Peyo lança «passe- moi le schtroumpf !» Ce nom imprononçable devint «Puffi» en Italie, «Pitufos» en Espagne, «Smurfs» en anglais, «Stroumfakia» en grec ou encore «Kumafu» en japonais. Et «Schlümpfe» Outre-Rhin, schtroumpf signifiant chaussette en allemand.
Une société collectiviste et dirigiste
Né en 1928 à Bruxelles, Peyo, le père des Schtroumpfs, avait connu l'occupation allemande et n'en gardait aucune nostalgie mais, relève Antoine Buéno, «une oeuvre peut véhiculer une imagerie que son auteur, de bonne foi, ne cautionne pas (...). Les Schtroumpfs reflèteraient donc plus l'esprit d'une époque que celui de leur créateur».
Les Schtroumpfs vivent en autarcie. C'est une société collectiviste et dirigiste, avec un chef unique et omnipotent, le grand Schtroumpf. Ils prennent tous leurs repas au réfectoire, sont puritains jusqu'au ridicule. Le racisme est patent dans l'album des «Schtroumpfs noirs» où la pureté du sang devient vitale et le brun, laid. Ou dans celui de «La Schtroumpfette», quand le blond aryen est idéalisé, estime l'auteur.
Gargamel, caricature antisémite?
Ce petit monde est aussi mobilisé contre un ennemi juré, Gargamel, dont le profil rappelle une caricature antisémite et dont le chat s'appelle Azraël. C'est le fils de Peyo, Thierry Culliford, qui a poursuivi l'oeuvre de son père après son décès en 1992. Dans ses albums, beaucoup plus pédagogiques, «le village des Schtroumpfs se fait plus explicitement métaphore du réel», souligne l'auteur.
Le 3 août, un film américano-belge de Raja Gosnell, mi-animé en 3D et mi-live, fera surgir «Les Schtroumpfs» sur les écrans. Les créatures bleues investiront pour l'occasion le coeur de New York. Le film sera précédé au Lombard du 29e titre de la série, «Les Schtroumpfs et l'arbre d'or». En novembre, sortira une «Encyclopédie des Schtroumpfs».
(L'essentiel Online/ats)
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